Hinzugefügt am 28.06.2005
Les Cahiers de la Peinture n. 363
Visite d'exposition
Oksana VEBER
Un bel ensemble de peintures figuratives d'Oksana Veber (née en URSS en 1967 et établie à Prague) a été présenté réœmment à la galerie Etienne de Causans (1) par M. Claude Zlotzisty, admirateur de l'œuvre de cette jeune femme peintre.
Dans ce travail, l'image de la femme est dominante, de sorte qu'on peut considérer qu'elle est le thème de l'exposition : une femme belle et svelte, aux traits fins, le cou long, le visage ovale, les yeux en amande, les lèvres charnues, les seins fermes. D'autres attraits sensuels sont suggérés pudiquement, tandis que des attitudes, des gestes de la main et l'expression des yeux expriment fortement la volonté de séduire, mais il y a de la pudeur aussi dans cette expression. Dans la majeure partie des tableaux, la femme est au singulier. Quelques œuvres, trois, me semble-t-il, réunissent deux femmes : Le Duo (des violonistes) ; Ouverture (deux têtes de femmes et un cygne ; Vieux Miroir, seule composition figurant une tête d'homme et une de femme). L'image du cygne se rencontre plus d'une fois dans les compositions, précisée ou esquissée, et cela porte à penser qu'elle véhicule peut-être une allusion qui ne devrait pas être négligée. En effet, elle compte comme un élément pertinent dans un ensemble de constatations qui appelle l'attention vers la musique. En même temps que l'on constate des occurrences du cygne, on remarque des titres qui renvoient a la musique: Duo, Chante violon, Ond'tne, Ouverture... S'y ajoutent des images du violon et d'une boite à musique (dans une œuvre intitulée Une petite Citronnade, où la femme, les yeux bridés cette fois, et la peau jaune, tourne la manivelle de la boite sur laquelle on voit une danseuse en tutu et un danseur, et en-dessous trois paires de dûmes du Kremlin). Le cygne associé à la musique évoque spontanément le quatuor à cordes de Tchaïkovsky, Le Lac des cygnes. Un gros coquillage marin est également une figure fréquente dans les accessoires de composition, et l'on connaît sa connotation auditive.
Los Cahiers do la Peinture n. 363
La portée et l'inspiration poétiques des œuvres de Oksana Veber se déterminent ainsi sous et vers des références musicales. Patite Citronnado, pièce décrite ci-dessus, pourrait être une allusion à la symphonie de Tchaikovsky, Petite-russienne, dédiée aux territoires ukrainiens.
Le tableau intitulé Ondine fait peut-être référence à l'opéra du même nom, du compositeur cité, qui par ailleurs a écrit quelques Ouvertures, titre qui se retrouve dans le répertoire des tableaux de cette exposition... Il y a un tableau Inspiré par le Jazz et ainsi nommé, la femme y joue de la trompelte..
Les couleurs des tableaux sont chaudes, dominées par des rouges et des ocres denses, convenant a l'évocation d'une musique romantique.
Formée en URSS (à Briansk, puis à Kiev) et en Tchécoslovaquie communiste (â Prague), Oksana Veber appartient à la plus jeune génération des plasticiens des pays de l'Est où il y a, comme on sait, des transformations économiques et culturelles, entre autres. Il est intéressant aujourd'hui de connaîlre les directions prises par la jeunesse de ces pays depuis le recul des options réalistes socialistes pour les beaux-arts. A ce titre, déjà, l'exposition récente (1) des peintures de Oksana Veber appelle l'attention. On sait, par ailleurs, que les arts plastiques de la Tchécoslovaquie, où Oksana Veber est établie (sa production est représentée en galerie, à Prague, de façon permanente) font l'objet en France d'un intérêt soutenu depuis qu'on a fêté en 2002 une saison tchèque qui a tenu l'affiche de mai à décembre, avec notamment les expositions Praga Magica à Dijon et Lanterna Magika à Paris.
Le travail d'Oksana Veber, quoique sa formation se soit accomplie à la fois à Kiev et à Prague, me semble plus inscrit dans une continuité artistique tchèque que russe, car il contient des analogies avec l'art autrichien de la Sécession de Vienne qui a attiré en son temps les artistes tchèques ; les Russes ne l'ont pas introduit dans les conceptions esthétiques de la peinture proprement dite, car elle était dominée chez eux par les vecteurs idéologiques du futurisme et du réalisme socialiste, et car leur habitude dans l'intérêt pour l'art étranger est de porter leur regard surtout vers la peinture française.
a Peintura n. 363
L'analogie des représentations d'Oksana Veber avec le Jugendstyl des Viennois (dit Art Nouveau en France el en Belgique, et Modem Style en Grande Bretagne), qui fut un mouvement étendu sur une grande partie de l'Europe, faisant valoir la compatibilité du beau et de l'utile, se déduit de l'exaltation de la courbe et la spirale, traits caractéristiques de son dessin. Elle se déduit aussi de l'émergence de ses tableaux d'un sens esthétique évoquant les arts extrême-orientaux, caractère connu de l'Art Nouveau
Tous les traits posés par Oksana Veber sur le support pictural, pour représenter les personnages ou les objets sont des volutes ou tendent vers cet aspect qui retrouve la forme légère du signe chinois ou japonais.
Le choix d'un support de gabarit diffèrent de celui des formats standard de la
peinture occidentale, un gabarit de parchemin, rectangulaire, de petite largeur et de présentation verticale, compte aussi comme une analogie avec l'Art Nouveau : songer à Judith, de Gustav Klimt, qui a tenu l'affiche a Paris à l'occasion de l'exposition < Vienne 1900 » au Centre Georges Pompidou..
Il faut aussi se rappeler l'exemple du Tchèque Mucha, qui fut l'un des meilleurs représentants de l'Art nouveau, pour admettre que la manière esthétique d'Oksana Veber, telle que décrite, s'inscrit dans une continuité artistique tchèque.
L'évocation de la musique, commentée ci-dessus, s'appréhende comme une toile de fond ; elle donne aux tableaux un heureux complément au caractère Art Nouveau dont la reprise comme style de peinture contemporaine est rare en Europe occidentale, suite peut-être â la polarisation du mouvement des idées dans un dialogue avec l'art des U.S. A.
L'ensemble exposé est de 2003. Quelques œuvres datent des tout derniers mois ; on y constate une évolution vers la réduction de la représentation figurée au profit d'une plastique gestuelle et un rapprochement de l'abstraction.
L'exposition a obtenu du succès et Oksana Veber compte désormais un certain nombre d'amateurs parisiens de son art. Sa maîtrise de son métier, la force délicate de sa sensibilité chromatique et la teneur poétique de tout ce qu'elle peint sont propices â son épanouissement et sa réussite à Paris comme les célèbres peintres tchèques qui ont brillé au sein de l'école de Paris, François Kupka et Georges Kars.
Mondher BEN MILAD
(1) L'exposition s'est déroulée à la Galerie Etienne de Causans, 25, rue de Seine, 75006 Paris, du 28 novembre au 5 décembre 2003.